L’épidémie de la peste porcine africaine sévit en ce moment au Cameroun. Pour stopper sa propagation, le gouvernement a pris une batterie de mesures. Louis-Marie Kakdeu, titulaire d’un PhD & MPA, fait une analyse des solutions gouvernementales et estime qu’elles sont inappropriées.
La gestion de la peste porcine au Cameroun se fait par la prise des mesures inappropriées qui plombe l’économie nationale. En 1982, cela avait fait perdre au pays plus de 80% du cheptel. En 2014, l’on a détruit les efforts déjà entrepris dans le plus grand bassin de production, Le Logone et Chari, avec une perte de plus de 25% du cheptel national. Pire, du Logone et Chari, la gestion catastrophique avait permis que la peste parcours plus de 1500 Km pour se rendre dans les régions du Centre, du Littoral, de l’Ouest, du Nord-Ouest, du Sud, etc. En 2021, c’est l’inverse qui risque de se produire. L’épizootie est partie pour envahir l’ensemble du pays. Pourquoi ?
Parce que le gouvernement a pris tout sauf l’unique mesure qu’il faut prendre. Dès courant juin 2021, le Réseau d’épidémiosurveillance des maladies animales du Cameroun (Rescam) reçoit des alertes. C’est ce qui fonde la correspondance du Ministre en charge de l’élevage du 25 juin 2021 qui prescrit à ses collaborateurs au niveau régional de prendre des mesures pour la « gestion de l’épizootie de peste porcine africaine en cours ». Lesquelles alors ? Le Ministre prescrit entre autres de réactiver les check-points, d’informer et de sensibiliser les acteurs de la filière porcine, de surveiller les élevages et les marchés de porcs, de contrôler les mouvements de porcs et des produits d’origine porcine, d’exiger des documents sanitaires conformément à la réglementation en vigueur, de désinfecter systématiquement des véhicules affectés au transport des porcs, de mettre en œuvre des mesures sanitaires dans tous les foyers, etc. J’espère n’avoir rien oublié des mesures prescrites. Vous êtes d’accord avec moi que toutes ces mesures vont dans le sens de la répression des éleveurs. Or, nous ne le rappellerons jamais assez ! Le rôle de l’Etat n’est pas de réprimer sa propre population. Le rôle de l’Etat est de créer des conditions pour l’épanouissement (économique) des citoyens. Aucune des mesures prises n’engage la responsabilité du gouvernement. L’on voit bien que le gouvernement, une fois de plus, fuit sa part de responsabilité. Il s’agit de quoi ?
Dès juin 2021, alors que nous en sommes encore au début, le gouvernement aurait dû, conformément au protocole prescrit par l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE), prendre une décision d’utilité publique (DUP) pour circonscrire le(s) foyer(s) de contamination, abattre les sujets (dans des conditions décentes) et mettre fin à la propagation avec une élimination correcte des carcasses et des autres déchets. L’OIE prescrit en outre le nettoyage et la désinfection approfondis des installations. Tous les programmes d’éradication fructueux ont reposé sur la rapidité du diagnostic, l’abattage et l’élimination de tous les animaux se trouvant dans les foyers de contamination. Or, le gouvernement fuit les dépenses dans la désinfection des fermes. Le gouvernement fuit surtout ses responsabilités puisque la prise d’un DUP suppose le dédommagement. En ne voulant pas dédommager quelques producteurs, l’irresponsabilité gouvernementale contribuera encore à dégrader davantage le tissu économique national. Pire, la Peste Porcine Africaine (PPA) fait partie des maladies à notification obligatoire auprès de l’OIE. C’est dire que le Cameroun se tire une balle dans le pied en ne gérant pas l’épizootie conformément au fameux Code sanitaire pour les animaux terrestres.
Sur le plan sanitaire, la série des mesures prises par le MINEPIA et les gouverneurs (Ouest et Littoral) va être très peu efficace. Pourquoi ? Parce qu’elle ignore les vecteurs de transmission du virus concerné (Asfarviridae). A l’étape où nous nous sommes rendus (généralisation), il ne suffit pas de bloquer les mouvements des animaux (vivants ou morts). Il faudrait aussi limiter le déplacement des personnes dans la mesure où le virus se propage par des chaussures, des vêtements, etc. Il s’agit de ce que l’on appelle le contact avec des matières contaminées ou des vecteurs biologiques qui existe bel et bien à côté des contacts directs que les mesures gouvernementales veulent éviter.
La question est simple : Pourquoi ne peut-on pas bien faire les choses dans ce pays ? Les protocoles sont connus et les mesures d’application sont simples. Ce sera le haro sur la filière porcine camerounaise si l’OIE ne déclassifie pas le Cameroun des pays vecteurs de la maladie. Tout ça pour quoi ?
Il est temps de prendre des mesures rectificatives afin de ne pas tuer davantage l’économie nationale. L’on ne peut pas se limiter à la condamnation ou à la répression des éleveurs qui sont emportés par la panique créée par le gouvernement. J’ai entendu dire que c’est grâce aux filets sociaux que les pauvres se sont lancés dans l’élevage (comme pour dire que les éleveurs peuvent perdre puisque c’est avec l’argent du gouvernement qu’ils ont lancé leurs activités). Soyons sérieux ! Même si c’était le cas ! Dans la réalité, l’élevage porcin n’est pas une affaire des 30 000 FCFA que l’on transfère dans le cadre des filets sociaux. Pour les petits éleveurs, c’est une affaire de plusieurs millions et pour les moyens (semi-industriels), il faut compter dans plusieurs centaines de millions. Vous n’allez pas demander à celui qui voit ses dizaines de millions s’envoler de rester sans action. Il est de la responsabilité du gouvernement de prendre une DUP pour ouvrir la voie au dédommagement. Ainsi seulement, l’on pourrait espérer avoir la « collaboration » des éleveurs dans la circonscription de l’épizootie.
En attendant, les mesures gouvernementales vont créer (comme c’est déjà le cas), un marché au noir et d’ici peu, il n’est pas exclu que l’on retrouve cette maladie hémorragique, virale et contagieuse dans tous les bassins de production à cause des autres modes de propagation comme le contact indirect. Pourquoi ? Parce que selon l’OIE, la peste porcine africaine ne constitue pas une menace pour la santé humaine. Par conséquent, les Camerounais vont continuer de consommer leur « porc braisé » avec le risque de transporter le virus d’une région à l’autre.
A l’avenir, notre gouvernement devra être plus sérieux et assurer des mesures de prévention épizootique. Il s’agit simplement de veiller à l’application des mesures de biosécurité. Je tiens à rappeler enfin que beaucoup de pays (occidentaux) vivent permanemment avec la présence des épizooties sur leurs sols. L’on fait tout simplement le zonage conformément au protocole. Mais, est-ce que l’on fait alors ça chez nous ? L’on ferme seulement les marchés. L’on détruit l’économie nationale. Et on est surpris de ne pas se développer ou à devoir toujours emprunter de l’argent (Eurobonds) pour financer notre survie. Non, il nous faut changer d’approche.
En rappel, selon le Projet Agropoles, la production porcine annuelle du Cameroun n’était que de 47 000 tonnes par an en 2015 pour une demande nationale de près de 75 000 tonnes. Le pays importait près de 40% de son besoin pour une perte en devises d’environ 42 milliards de Fcfa par an. S’il faut prendre des mesures pour détruire le peu d’efforts entrepris dans le cadre d’Agropoles, alors cela demeurerait incompréhensible.
A méditer
Par Louis-Marie Kakdeu, PhD & MPA
LMK