Alors que les forces de défense veillent de jour comme de nuit dans les régions du Sud-Ouest et du Nord-ouest depuis bientôt cinq ans, Dieudonné Essomba reste ferme sur sa position : la solution à la crise n’est pas militaire.
Comme le diplomate américain Tibor Nagy, l’économiste camerounais soutient mordicus que le déploiement de l’Armée dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest n’est pas une panacée à la crise qui perdure.
« Aucune force, ni aucun autre mécanisme humain ne peut mettre fin à la crise anglophone, ni même l’atténuer tant que le mot « unitaire » figure dans la Constitution du Cameroun », a écrit Dieudonné Essomba dans une chronique publiée sur sa page Facebook ce 23 septembre 2021.
Escalade militaire au NOSO : nous faisons clairement fausse route !
Je ne comprendrai jamais avec quelle facilité le Gouvernement du Cameroun est tombé dans tous les pièges tendus par la Sécession Anglophone. Il faut vraiment le reconnaître : les gars ont rondement mené leur affaire.
La Sécession est née le 1er Octobre 1961, le jour même où le Southern Cameroon vote pour son adhésion au Cameroun, plutôt qu’au Nigeria. Les Sécessionnistes n’ont jamais avalé que les Nations-Unies leur aient refusé le droit à l’indépendance et ils ont traîné cette plaie vive incurable pendant plus de 60 ans.
Ils ont tenté depuis cette période, de père en fils, d’engager le peuple anglophone dans une implacable et féroce guerre de libération, quelquefois en posant des actes de rébellion, comme l’attaque des gendarmeries ou la commémoration du 1er Octobre, dans l’espérance d’être suivis.
Devant les échecs répétés de leur projet, ils ne se sont jamais découragés, mijotant leur inextinguible haine qui a été cuite et recuite dans leur cœur desséché. Ce n‘était plus des hommes normaux, mais des boules de frustration, de colère et de haine.
Cette haine s’est amplifiée au fil des générations, nourries par les images paradisiaques d’un Southern Cameroon indépendant qu’ils se faisaient dans leurs rêves, et aiguillonnées par une incroyable constellation de maladresses des deux régimes de Yaoundé : suppression de la Fédération en 1972, suppression du terme « unie » dans le nom du Cameroun, atermoiements dans l’application de la décentralisation, réactions violentes en 2016 lors des manifestations des enseignants et avocats, etc.
Les Sécessionnistes attendaient leur heure. Patiemment, comme des cobras. Prêts à frapper à la moindre occasion. Leur seule inquiétude était que le Gouvernement cède au fédéralisme qui est leur principal ennemi, car il les prive d’une importante base de recrutement tout en invalidant une grande partie de leurs discours haineux.
Les Sécessionnistes haïssent les Fédéralistes comme des serpents venimeux ! Et quand le Gouvernement commet l’incroyable bourde d’affaiblir les Fédéralistes qui sont des gens pacifiques, en interpellant les membres du Consortium, en affirmant que la forme de l’Etat n’est pas négociable et en interdisant dans les médias tout débat sur le fédéralisme, c’est le triomphe chez les Sécessionnistes !
Enfin ! Le Gouvernement confirmait point par point leurs vieux discours selon lequel les Anglophones sont devenus une sous-colonie d’une colonie française, qu’ils n’existent plus comme Nation !
Leurs appels à la guerre totale contre l’envahisseur francophone devenaient enfin audibles ! 60 ans ; c’est long, c’est très long ! Mais enfin, elle était enfin là, et dans des conditions particulièrement favorables : en annihilant les Fédéralistes qui sont leurs pires ennemis et qui auraient pu servir de tampon entre ces deux extrémistes radicaux, le Gouvernement lui-même avait clarifié le terrain de la lutte !
La guerre de libération de l’Ambazonie pouvait commencer et nous y sommes, hélas ! Par son entêtement de mule, par son autisme, le Gouvernement a raté toutes les occasions pour empêcher le développement de cette image de territoire conquis du NOSO. Bien au contraire, il n’a fait que l’amplifier par ses actes et ses discours va-t-en-guerre.
Ce que nous voyons au NOSO est clairement un mouvement de libération qui, comme tout mouvement de ce type, recourt au terrorisme pour atteindre ses fins. Et c’est un vieux mouvement dont les racines sont profondes, dont le discours n’intéressait personne, mais qui a finalement triomphé en valorisant les errements d’un Gouvernement peu lucide.
Et comme toute guerre de libération, c’est une affaire de 40 ans. Le sang va couler au NOSO et il sera très difficile de recoller les morceaux.
Ceux qui espèrent à la fin prochaine de la guerre n’ont absolument rien compris. Et quant au camp qui va gagner, c’est très hypothétique ! Et il est important ici que les Camerounais acceptent et intériorisent une terrible réalité : un Etat n’est pas un totem invincible. Il s’agit tout simplement d’une organisation sociale qui a en charge les besoins collectifs, mais qui peut être attaquée et vaincue. Si le monde a pu évoluer, c’est bien parce que les Etats ont été vaincus par des groupes armés, y compris séparatistes! Le Cameroun n’est pas une exception et il n’y aucune loi qui interdise à l’Etat du Cameroun d’être battu par une rébellion.
Les Ambazoniens ont commencé avec des machettes et des frondes, et personne ne leur donnait 2 semaines. Aujourd’hui, ils en sont à attaquer des engins lourds en massacrant des militaires d’élite.
Le Gouvernement a décidé de réagir en montant en puissance, mais on peut légitimement se demander si la logique de l’escalade est la bonne décision. Il n’y a pas un an, on nous a parlé des opérations CLEAN qui devaient mettre hors d’état de nuire les Amba Boys : Bamenda Clean, Buea Clean, etc.
Cette opération a pu éliminer certains chefs sécessionnistes, mais de nouveaux ont apparu, plus rusés, plus féroces et plus déterminés encore, avec pour conséquence la multiplication d’attentats plus sophistiqués et plus sanglants.
Aujourd’hui, nous voyons des chars et certainement nous verrons probablement les avions. Peut-être que cela conduira aux résultats… je dis bien, peut-être, mais se pose une question fondamentale : de quelle garantie disposons-nous pour croire qu’en réaction, la Sécession ne montera pas en force à son tour pour le contrer ?
Ni l’Armée Nationale, ni la Sécession ne fabrique des armes. Les deux s’approvisionnent à l’étranger. Les avions et les chars que le Gouvernement va opposer à la Sécession sont fabriqués par les mêmes industriels que les missiles que la Sécession va opposer au Gouvernement !
Qui nous garantit que le résultat sera en faveur du Gouvernement ?
Je ne crois d’ailleurs pas au moindre changement de rapport de force sur le terrain, au regard du modus operandi de la Sécession. Les multiples meurtres des militaires ne sont pas le fait des combats frontaux, mais des attentats. Très rarement, il y a eu une confrontation directe entre les militaires et les Sécessionnistes, et pour cause, les Sécessionnistes les évitent très soigneusement puisqu’ils sont incapables de s’opposer à la puissance de feu de l’armée.
En outre, le Gouvernement lui-même reconnaît les collusions entre les Ambazoniens et les rébellions séparatistes du Nigeria que ce pays arrive à contenir avec son modèle fédéral. Et au cours de cette lutte interminable contre ces Sécessions, il est certain que le Nigeria a appliqué les techniques auxquelles le Cameroun recourt aujourd’hui. Qu’est-ce qui nous dit que les Amba Boys n‘iront pas s’inspirer des expériences de ces vieilles Sécessions, voire obtenir leur appui actif, pour contre l’action puissante de l’Etat ?
Il n’y a donc pas lieu d’espérer que les Amba Boys approcheront là où il y a des chars qu’ils ne peuvent affronter. Ils renforceront davantage leur logique d’attentat, rendant peu utilisables ces instruments modernes.
Par contre, l’opération est très risquée et carrément contreproductive. Elle est risquée, car si elle n’obtient pas les résultats, elle va amplifier l’image ruineuse d’un Gouvernement incapable avec une Armée totalement impuissante devant des enfants en guenilles. Mais surtout, elle est contreproductive, puisque ce déploiement va davantage conforter la population dans ce sentiment d’occupation étrangère qui nourrit les rangs de la Sécession, rendant encore plus hypothétique la réconciliation, et durcissant la détermination des séparatistes.
Nous faisons clairement fausse route !
Je l’avais dit dès le départ, bien avant même les hostilités : la seule solution au problème anglophone est la suppression du mot « unitaire » dans la Constitution et le retour à la Fédération.
Aucune force, ni aucun autre mécanisme humain ne peut mettre fin à la crise anglophone, ni même l’atténuer tant que le mot « unitaire » figure dans la Constitution du Cameroun.
Et si le Gouvernement continue à louvoyer et à écouter les imposteurs qui lui servent de conseillers, les Anglophones vont partir.
Dieudonné ESSOMBA