C’est au beau milieu d’une sobre nuit d’octobre, noire et obscurcie par la clarté des étoiles qui ne brillaient que par leur absence, que je reçois un appel anonymement masqué.
La voix qui est au bout du fil est celle d’un homme sûr de lui, articulant chacune de ses syllabes, insistant sur les chacune des consonnes, et survolant parfois les voyelles. La lenteur de son élocution trahit l’état vertigineux d’ébriété dans lequel je gisais, mais aussi celui de l’octogénaire sénescence de mon interlocuteur. Il s’agissait comme d’un prône monologue et je l’écoutais dans un silence de monastère. Mon cœur battait si fort, et j’essayais de fouiller dans le noir avec mon « ancien sonel », de quoi prendre les notes de ces étonnantes et tonnantes notes vocales qui entraient d’une oreille et sortaient de l’autre, tout en tournant au-dessus de ma tête en bourdonnant au rythme les moustiques ayant profité de la mort par électrocution de mon ventilateur pour exhiber leurs ailes et me dépouiller du peu de sang qui accepte encore s’écouler en s’écroulant dans mon alcool.
Entre chercher ma face dans le noir, crucifier un ou deux moustiques intransigeant, chercher ma femme dans un lit où elle n’aime pas (se) coucher, et à une heure qui ne l’a trouvé presque jamais à la maison, je n’arrive pas toujours à coller la voix de mon interlocuteur à un visage, encore moins à un nom. Pourtant elle me semble familière, j’ai l’impression de l’avoir déjà écouté, mais elle est tellement unique en son genre qu’il faudrait vraiment s’être saoulé la gueule toute une année pour ne pas la reconnaitre d’un coup. Mais cette étrange voix mais pas étrangère, semblait me connaitre plus que moi-même. Elle me parlait de mes hauts et mes déboires, des infidélités de ma femme, de son infertilité, de mon activisme extrémiste tributaire d’une recrudescence de frustrations et d’aigreur. Cette voix savait que j’avais toujours travaillé en toute droiture, que la forfaiture n’a jamais avec moi fait bon ménage, mais que je n’avais jamais été considéré à ma juste valeur. Elle savait que j’ai sombré dans la dépression, déçu par le système d’un pays pour lequel j’avais sacrifié les plus grandes richesses et glorioles. Elle savait que je veillais dans les bars, que je dormais dans de jolis bras et que je me réveillais avec la seule envie de faire recommencer le cycle.
J’ai toujours appris aux gens que la vie ne tenait qu’à un bout de fil, mais cette nuit-là, j’ai compris qu’elle pouvait aussi tenir à un coup de fil. Le discours était si magistral que je perdais mon latin, la seule phrase que j’ai comprise, dont je m’en suis souvenue est : « …je veux vous créer ministre, je veux faire de vous mon ministre ». C’est à cette phrase que j’ai réalisé enfin que j’échangeais, au mieux que j’écoutais le Président de la République ! Chef de l’Etat, chef des armées, premier sportif…grand maitre. Je n’avais pas été gêné par le fait de me « créer » ministre ! S’il avait dit me « nommer » ce serait sémantiquement, la même chose pareille. Car on ne nomme que ce qui n’existait pas encore, comme on nommerait un nouveau-né, ou une nouvelle ville. La nomination est un acte de création déterminant. C’est pour ça que dans les prisons, les incarcérés n’ont pas de nom, que des codes, c’est une manière de les dépouiller de leur humanité. Le pouvoir créatif de l’homme commence le moment où il reçoit le pouvoir de nommer les choses et les animaux. Ainsi, le Président créerait un ministre, comme un pape crée un cardinal sans que ça ne choque personne, sans qu’il n’en devienne moins mon créateur ni moi sa créature.
Mon silence après cette phrase lapidaire a laissé le soin au président de comprendre que j’hésitais entre le oui et le yes. Je sais qu’il a été surpris et qu’il aurait pu s’attendre à un refus catégorique de ma part, moi l’homme révolté, l’entêté ! Si mon infidèle de femme était là cette nuit, elle aussi n’aurait pas cru à ses oreilles percées par d’innombrables trous bouchés de boucles. Mon entourage connaît ma sévérité envers nos gouvernants, et n’aurait jamais songé à ce retournement de veste à 360°. Mais ce qu’ils ne savent pas c’est que je suis un homme ouvert et décomplexé, qui continue à croire à l’aube matinière, au matin de clameur, même dans la grande nuit de l’inanité, de l’insanité, de l’inertie et de la cécité d’esprit ; qui milite pour une circulation fluide des élites, des idées, des biens et des personnes. Je ne suis pas de ceux qui pensent que s’opposer c’est être complétement hors position, hors-jeu, mais qu’on peut bien être mécontent d’un système et offrir quand même à celui-ci, dans la collaboration musculaire dont parlait Fanon, notre génie et nos talents pour l’aider à quitter de la médiocrité à l’excellence.
J’ai accepté d’être ministre, pas pour être le serviteur d’un seul homme, d’une seule famille ou d’une seule tribu, mais celui de la république. Comme un vrai soldat qui risque sa vie pour sauver celle du reste ; pour corriger les énormes erreurs des prédécesseurs, combler le vide des compétences, et laisser des traces indélébiles pour les générations futures, un archétype architectural et esthétique de la définition même du ministre. Pour qu’on retienne de moi, même en quelques mois, le ministre qui aura apporté une nouvelle manière de faire et de penser ; qui ne va pas manquer de prendre des initiatives, de peur qu’on le soupçonne de viser le chef et sa place; qui n’aura pas peur de l’affronter en conseil de ministres et lui dire la vérité aussi cuisante soit’ elle, que de baigner dans les salamalecs et les louanges outrées juste pour essayer de sauver sa tête et son siège. Et remplit un mandat qui mériterait être inscrit dans un livre et même faire école. Si vous croyez que ceci est un rêve…vous n’avez pas eu tord !
© Félix MBETBO, monsieurbuzz.over-blog.com