Le Spécialiste en étude de paix et de gestions des conflits dans une analyse qu’il a fait parvenir à la rédaction de lebledparle.com en date du 18 mai 2020, revient sur la récente audience entre le chef de l’Etat Paul Biya et l’ambassadeur de France au Cameroun, Christophe Guilhou.
Wanah Immanuel Bumakor, le porte-parole du mouvement AGIR/ACT dans l’examen dans nous avons eu copie, fait remarquer d’entrée de jeu, l’absence des médias internationaux « sur la gestion par le gouvernement camerounais de la crise sanitaire sans précédent qui frappe le monde entier, mais plutôt sur le sort du chef de l’État camerounais ».
Lebledparle.com vous invite à lire dans son entièreté, l’analyse de Wanah Immanuel Bumakor
UNE ANALYSE GÉOPOLITIQUE SUR LA NÉCESSITÉ D’UNE APPARITION DIPLOMATIQUE DE PAUL BIYA
Il est tout d’abord important de remettre tout en contexte pour que tout le monde comprenne ce qui s’est réellement passé, jeudi 16 avril 2020, au Palais de l’Unité. En cette période cruciale de crise sanitaire mondiale, où de nombreux pays ont tenté de mettre la politique de côté pour lutter contre le COVID-19, il est plutôt regrettable que cela ne soit pas le cas du Cameroun.
Au cours des derniers jours, les médias internationaux ne se sont pas intéressés sur la gestion par le gouvernement camerounais de la crise sanitaire sans précédent qui frappe le monde entier, mais plutôt sur le sort du chef de l’État camerounais, qui n’a pas été vu en public depuis plus d’un mois.
Ce qui choque beaucoup de gens, c’est que malgré le fait que le Cameroun soit l’un des pays de la région subsaharienne fortement touché par COVID-19, avec plus de 1000 cas signalés en un mois, y compris les implications économiques et sociales drastiques mêlés dans la lutte contre cette pandémie, Paul Biya, en sa qualité de chef de l’État, n’a pas encore pris la parole pour s’adresser la Nation.
Par contre dans d’autres pays luttant contre cette pandémie, nous avons été témoins de l’engagement personnel des chefs d’État à prendre des mesures fortes pour faire face à la crise mais aussi pour rassurer leurs citoyens en cette période difficile. L’absence remarquable de Paul Biya pendant ce moment crucial a même incité certains à propager des rumeurs de sa mort.
Avec tout ce climat de suspicion autour de l’absence de Paul Biya, accompagné de l’incohérence de son gouvernement dans la gestion de la crise, comme le souligne l’Ordre national des médecins du Cameroun, la panique semble s’être semée. Il est également important de noter que le directeur de l’OMS a écrit à Paul Biya en tant que chef de l’État pour l’exhorter à s’engager personnellement à lutter contre le COVID-19 dans son pays.
Face à cette situation, le président Paul Biya, dans ce qui s’est avéré être sa première apparition publique, n’a pu sortir que pour s’adresser à ses compatriotes mais plutôt pour accorder une audience à l’ambassadeur de France. Selon sa déclaration faite après l’audience, l’ambassadeur de France, S.E. Christophe Guilhou, a indiqué qu’il était venu discuter des mesures à prendre pour aider le Cameroun à lutter contre le COVID-19.
L’apparition soudaine faite par Paul Biya juste pour recevoir un ambassadeur a suscité beaucoup d’interrogations. Beaucoup se sont demandés pourquoi le chef de l’État n’aurait pas pu s’adresser d’abord à la nation en cette période de crise au lieu de sortir pour recevoir l’ambassadeur de France ? Après s’être vanté à plusieurs reprises que le Cameroun est un pays souverain et scandé qu’aucun pays ne peut forcer son président à faire quoi que ce soit.
En fait, il y a environ 2 mois, nous avons vu des ministres de Paul Biya sortir pour envoyer des messages pour dire au président Emmanuel Macron que leur président écoutait le peuple camerounais et non le président français, et n’accepterait aucune ingérence dans les affaires intérieures de Cameroun.
Qu’est-ce qui pourrait alors expliquer que Paul Biya pour sa première sortie décide d’ignorer la demande de ses compatriotes pour répondre plutôt à la sollicitation de l’ambassadeur de France ? Dans cet esprit, nous pouvons affirmer que la sortie publique de Paul Biya avec l’ambassadeur de France n’était pas pour aborder des questions internes mais certainement pour répondre à certaines préoccupations géopolitiques. Car les enjeux sont très élevés.
Les explications diplomatiques
D’un point de vue diplomatique, il est important de noter que la France et le Cameroun sont impliqués dans une relation appelée diplomatie de dépendance où un pays est la zone d’influence de l’une superpuissance et sa politique intérieure est influencée par la superpuissance. Il est bien connu que le Cameroun est la zone d’influence de la France.
À cet égard, les diplomates français doivent tout mettre en œuvre pour maintenir cette relation asymétrique entre les deux pays. Il est donc probable que l’incertitude de la capacité de Paul Biya à gouverner, compte tenu de son âge, entraîne le pays dans une instabilité apparente que d’autres superpuissances comme les États-Unis et la Chine, en particulier, pourrait tirer parti.
De plus, compte tenu des crises multiformes auxquelles le Cameroun est confronté, il n’est pas bon que l’absence de Biya se transforme en autre chose, d’autant plus que le principal chef de l’opposition, le professeur Maurice Kamto, qui a déjà acquis une visibilité internationale, a écrit aux différentes institutions compétentes pour : déclarer une vacance de pouvoir à la présidence de la République.
L’absence de Paul Biya aurait dû attirer l’attention de la communauté internationale d’une manière ou d’une autre. Ainsi, de toute évidence, il était plus dans l’intérêt de la France de s’assurer que Paul Biya fasse une apparition publique pour écarter toute tentative de signifier une vacance de pouvoir. La France sait très bien que les enjeux sont très importants et ils doivent maîtriser la situation.
C’est pour cette raison que la comparution publique du président Biya semble s’adresser davantage à la communauté internationale qu’aux Camerounais qui aspirent désespérément à ce que leur président les rassure dans ces moments très difficiles.
De plus, la France est pleinement consciente que les Camerounais sont habitués à ce style de gouvernance de la part de Biya. Mais aux yeux de la communauté internationale en cette période de crise, son absence prolongée pourrait être interprétée par d’autres rivaux d’une manière que la France n’apprécierait pas. Donc, la France devait agir.
Réactions et implication étrange de l’ambassadeur de France
Le lendemain matin, après son audience avec Paul Biya, S.E. Christophe Guilhou a fait un tweet disant que « Biya fait une apparition publique coupant court à toute rumeur sur son absence. » Comme si c’était sa mission.
Ce tweet était une attitude très surprenante et étrange d’un diplomate. Il est important de noter que les diplomates par nature sont très discrets, notamment sur les questions politiques, et font tout pour ne pas interférer dans les processus politiques internes de leur pays d’accueil. Cependant, compte tenu de la diplomatie de la dépendance entre les deux pays, les affaires intérieures d’une zone d’influence de superpuissances ont des implications de plus en plus importantes en matière de leurs politiques étrangères.
Par conséquent, les règles de non-ingérence et de discrétion, que les ambassadeurs doivent respecter, sont généralement contournées. Cela explique le tweet de l’ambassadeur de France, pas forcément adressé au peuple camerounais mais plutôt aux rivaux des Français au Cameroun. Le Cameroun est déjà un territoire de conquête géopolitique par les superpuissances compte tenu de sa position stratégique.
Comme je l’ai dit tout à l’heure, tout indique que la décision de l’ambassadeur a été de répondre aux préoccupations croissantes de la communauté internationale et non des Camerounais qui semblent avoir été très habitués aux longues absences de leur président au cours de ses 37 ans au pouvoir. Mais, son absence pendant la crise sanitaire mondiale a été plus visible que jamais auparavant, attirant beaucoup l’attention internationale.
Il est important de noter que le diplomate français ne fait que son travail qui est de s’assurer que le Cameroun reste la zone d’influence de la France dans ce climat d’incertitude. La France est donc obligée d’accompagner le régime de Biya pour gérer efficacement cette crise. Nous pouvons désormais déduire la couverture médiatique des activités de l’ambassadeur de France auprès des différents ministères et les soutiens financiers accordée pour aider le gouvernement.
On dit qu’un diplomate réussit totalement dans sa mission lorsqu’il est en mesure de modifier ou de maintenir les actions d’un gouvernement étranger d’une manière favorable à l’intérêt de son propre pays. Par conséquent, la situation politique du Cameroun ne peut pas être indifférente à un pays comme la France car ils doivent maintenir le Cameroun comme leur territoire d’influence sûr, compte tenu de la menace des États-Unis et de la Chine. À cet égard, il doit faire tout ce qui est en son pouvoir pour préserver l’intérêt de la France au Cameroun. C’est quelque chose de très normal dans les relations internationales.
Pour conclure, tout ceci n’est que la conséquence de la mauvaise gouvernance en Afrique car les dictateurs, au lieu de répondre aux besoins de leur peuple, sont obligés de satisfaire leurs « maîtres » coloniaux dans le but de se maintenir au pouvoir.
C’est pourquoi les politiques étrangères du Cameroun et de la plupart des pays africains ne sont pas proactives et sont plus dépendantes, destinées à maintenir le rôle des Africains en tant que spectateurs sur la scène internationale et non comme acteurs. Je suis d’accord avec le président Macron, qu’il soit sincère ou pas, c’est qu’il a toujours dit aux Africains que c’est à eux de décider du sort de leur Nation et de ceux qui les dirigent.
La France travaillera avec ceux qui sont au pouvoir selon lui. Par conséquent, la mise à l’écart perpétuelle du peuple camerounais dans la gestion de son pays doit susciter beaucoup d’inquiétudes.
Nous avons observé cette situation même dans d’autres pays comme le Cameroun, où les aspirations populaires de la population pourraient le plus souvent changer et modifier l’intérêt des superpuissances qui, à leur tour, trouveront une autre alternative pour instaurer la stabilité. Nous avons été témoins de cette situation même en Tunisie en 2011 lorsque la France a été contrainte de mettre fin à son soutien au régime de Ben Ali pour favoriser une transition du pouvoir.
Les États-Unis ont procédé de la même manière en Égypte en cette même année à Hosni Moubarak, qui était au pouvoir depuis près de trois décennies. C’est donc aux Camerounais de décider de leur sort.
Wanah Immanuel Bumakor,
Spécialiste en étude de paix et des gestions conflit