Dans sa parution du lundi 24 mars 2019, le quotidien a proposé un entretien réalisé avec Wanah Immanuel Bumakor, expert en relations internationales qui fait la lumière sur les sanctions américaines à venir contre des ministres et des officiers supérieurs de l’armée. L’affaire de ces éventuelles sanctions intervient après le passage quelques jours plutôt du sous-secrétaire d’Etat américain en charge des affaire africaines, Tibor Nagy.
Tibor Nagy vient de rendre une visite au Cameroun. Or, à peine a-t-il tourné le dos qu’on parle déjà de sanctions en préparation contre certaines personnalités camerounaises. Comment comprendre cela ?
Beaucoup de Camerounais semblent oublier que lorsque le Cameroun combattait Boko Haram dans le nord du pays, les États-Unis étaient l’un de nos plus puissants alliés. Les États-Unis ont envoyé du matériel militaire à l’armée camerounaise et ont même envoyé environ 300 soldats américains au Cameroun pour aider l’armée à se battre contre Boko Haram. Cependant, la guerre dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest a prouvé que le gouvernement du Cameroun, y compris l’armée et systèmes judiciaire, avaient violé les droits de l’homme et que le problème des anglophones était une crise politique pouvant être résolue par un dialogue avoir recours à l’armée. Position est partagée non seulement par la société civile camerounaise et de plusieurs organisations internationales, mais aussi celle de la diaspora camerounaise qui a beaucoup manifesté sa colère contre le régime Biya au niveau international. Dans ce genre de situation, les États-Unis qui se considéraient comme le leader du monde libre ne pouvaient rester indifférents à ce qui se passe au Cameroun.
Par conséquent, lorsque Tibor Nagy a déclaré après son audience à la présidence qu’il avait eu une « discussion franche, honnête et directes » avec Paul Biya, il y avait aucun doute que les violations récurrentes des droits de l’homme par le gouvernement était un aspect clé de ces échanges. Étant donné que le régime de Biya semble faire la sourde oreille aux avertissements des États-Unis, plusieurs organisations influentes des droits de l’homme dans le monde telles Amnesty International et Human Rights Watch qui ont aussi condamné fermement les arrestations de leaders politiques tels que Maurice Kamto, Christian Penda Ekoka, Albert Dzongang, Valsero et d’autres membres du MRC en tant que prisonniers politiques, soulignant que leur arrestation était illégale et arbitraire.
C’est dans ce contexte que les États-Unis, dans le respect de leur constitution et de la loi Leahy (Leahy Law) de 1997, interdisent essentiellement aux départements d’État et de la Défense de fournir une assistance militaire aux forces de sécurité étrangères accusées de violations crédibles des droits de l’homme. Par conséquent, Tibor Nagy espérait qu’en exprimant à Paul Biya la position des États-Unis, il serait suffisamment sage pour modifier ses méthodes et mettre un terme aux violations des droits humains, faute de quoi des sanctions plus sévères seraient infligées.
D’après nos sources, les Américains comptent cibler les hauts-gradés de l’armée et des ministres. Est-ce un choix hasardeux ?
Il est évident que les personnes susceptibles d’être sanctionnées sont des personnes directement impliquées dans la guerre dans les régions anglophones et qui ont une influence directe sur les soldats qui commettent ces violations des droits de l’homme. Permettez-moi tout d’abord de dire que les instruments de sanctions imposés par un État, un groupe d’États ou le Conseil de sécurité des Nations Unies s’efforce à persuader un pays ou certaines personnes ciblées de modifier son comportement, de l’empêcher de se livrer à des activités interdites, et/ou d’envoyer un signal fort concernant les violations des normes internationales. Les sanctions peuvent être soit ciblées sur certaines personnes, soit des sanctions globales, c’est-à-dire qu’elles ont une portée large et ne font pas de distinction entre les responsables des activités interdites et la population générale d’un pays. En outre, les États-Unis, en tant que superpuissance, ont toujours utilisé les sanctions comme un outil essentiel de leur politique étrangère. En faisant référence à l’article de courrier confidentiel, les États-Unis sembleraient opter pour des sanctions ciblées car ils ne veulent pas punir la population, mais plutôt les dirigeants, les décideurs et leurs principaux partisans. Ce n’est pas surprenant, car si nous restons fidèles à la déclaration de Tibor Nagy où il exprime que les États-Unis souhaitent nouer des relations étroites avec les deux pays, notamment en créant des emplois pour la jeunesse camerounaise.
Qu’est-ce des sanctions américaines contre des personnalités camerounaises peuvent changer ?
Le but des sanctions est d’envoyer un message fort aux dirigeants et aux décideurs afin d’influencer leur comportement et leurs inciter à respecter le droit international et les conventions que le pays a ratifiées, ainsi qu’à rétablir la paix et la sécurité dans leurs pays. N’oublions pas que le Cameroun a ratifié la résolution 21/16 de la Commission des droits de l’homme des Nations Unies en 2012 et la résolution 25/20 de la Commission des droits de l’homme des Nations Unies en 2014. En tant qu’État souverain, le Cameroun est tenu de respecter ces conventions non par pour faire plaire à la communauté internationale, mais avant tout pour ses citoyens. Cela signifie que l’État a la responsabilité de protéger ses populations contre quatre crimes d’atrocité massive : génocide, crimes de guerre, crimes contre l’humanité, nettoyage ethnique et quand l’Etat est incapable à s’acquitter de ces responsabilités, la communauté internationale peut intervenir pour encourager et aider l’État à s’acquitter de ses responsabilités. Cette Responsabilité de protéger connu en anglais comme R2P a été adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies en 2005. Par conséquent, des superpuissances telles que les États-Unis et d’autres organisations internationales gouvernementales et non gouvernementales doivent veiller à ce que ces normes internationales ne soient pas violées par ceux qui ont ratifié les conventions internationales.
Si ces sanctions ciblées se confirmaient, cela mettrait le régime de Biya dans une position très difficile. Comme les États-Unis sont une superpuissance, leurs sanctions sont le plus souvent suivies de sanctions d’autres pays occidentaux et de l’ONU. À l’heure actuelle, des sanctions ciblées américaines ont été appliquées dans des pays comme la Libye, la République centrafricaine, le Burundi, la Somalie, le Soudan du Sud, le Zimbabwe et la République démocratique du Congo, où la semaine dernière, les États-Unis ont sanctionné trois responsables de la Commission électorale (CENI), y compris son président, pour avoir sapé les processus ou les institutions démocratiques.
Il convient de noter que le plus souvent des régimes dictatoriaux qui ne se soucie guère des besoins de leurs citoyens deviennent souvent radicaux et ne cèdent pas à ce type de sanctions comme ce fut le cas avec Robert Mugabe, Pierre Nkurunziza et d’autres dirigeants africains. Mais ceci pourrait simplement être un signe que le régime de Biya est progressivement isolé par la communauté internationale, ce qui pourrait être préjudiciable au développement socio-économique du Cameroun.