L’analyste politique Wilfried Ekanga a proposé à ses abonnés sur sa page Facebook le mercredi 18 décembre 2019, une réflexion sur l’art de jouir, sous le prisme de la philosophie du plaisir.
Le militant du MRC par ailleurs, emprunte la métaphore du « viol » pour montrer comment les dirigeants actuels du Cameroun prennent du plaisir en violant leur concitoyens au quotidien. <<Lorsque vous observez la politique camerounaise, il se passe le même scénario. Les hédonistes au pouvoir veulent jouir tout seuls. Les dîners de gala, la privatisation des fonds de la république, les séjours privés et la pérennisation au pouvoir sont ce qu’ils entendent par « diriger », au point d’oublier qu’en fait, on est dirigeant parce qu’on a un programme politique à concrétiser. Et c’est justement parce que leur autorité est fondée sur le plaisir qu’ils ont tant de mal à s’en détacher>>, écrit Wilfried Ekanga.
L’Ecrivain montre cette violation au quotidien à travers quelques exemples. <<Voilà pourquoi ils violent au quotidien ceux qui leurs sont soumis : ils interdisent des marches citoyennes ( un droit ), répriment les réunions privées ( un droit ), stigmatisent et marginalisent des communautés et tuent ainsi le vivre ensemble ( un droit ), et ainsi de suite … juste parce que chacune de ces actions leur donne l’impression que le pouvoir – et donc la jouissance – pourrait leur échapper à tout moment>>, démontre l’auteur de l’ouvrage « Tu doit t’impliquer ».
Lebledparle.com vous propose l’intégralité de la tribune libre.
L’art de jouir
PHILOSOPHIE DU PLAISIR
Quand tu cesses de considérer tes semblables comme des êtres humains et que tu les utilises pour la seule satisfaction de tes désirs, tu deviens un Caligula. Ça fonctionne aussi bien au niveau personnel ( entre hommes et femmes ou entre amis ) qu’à une plus grande échelle ( entre communautés, ou entre un peuple et ses dirigeants ).
La recherche du plaisir dans tout ce qui nous entoure, et la fuite systématique de la douleur et des peines, ça s’appelle de l’hédonisme. Dans le cas d’un dirigeant face à son peuple, c’est de l’hédonisme politique. Cela signifie que pour acquérir ou maintenir ses privilèges et son confort, ce dernier n’hésite pas à asservir un peuple dont il a la charge. Ceci au mépris des règles du droit naturel et/ou du droit légal.
Or l’éthique nous enseigne que ce n’est pas ça la vie. On ne saurait être heureux si on est heureux seul. Et le plaisir n’a de sens que s’il est partagé. Un journaliste français du XVIIIe siècle du nom de Nicolas de Chamfort disait : « Jouir et faire jouir sans faire de mal à toi ni à personne. Voilà je crois toute morale. » Et il a bien raison. Par exemple la raison pour laquelle le viol est un crime, c’est que la société n’accepte pas qu’une personne en fasse souffrir une autre au nom de son propre plaisir charnel. Violer, c’est obliger autrui à renoncer à ses droits.
Éprouver du plaisir avec une femme dont on sait qu’elle n’éprouve pas de plaisir, c’est de la barbarie.
Lorsque vous observez la politique camerounaise, il se passe le même scénario. Les hédonistes au pouvoir veulent jouir tout seuls. Les dîners de gala, la privatisation des fonds de la république, les séjours privés et la pérennisation au pouvoir sont ce qu’ils entendent par « diriger », au point d’oublier qu’en fait, on est dirigeant parce qu’on a un programme politique à concrétiser. Et c’est justement parce que leur autorité est fondée sur le plaisir qu’ils ont tant de mal à s’en détacher.
Voilà pourquoi ils violent au quotidien ceux qui leurs sont soumis : ils interdisent des marches citoyennes ( un droit ), répriment les réunions privées ( un droit ), stigmatisent et marginalisent des communautés et tuent ainsi le vivre ensemble ( un droit ), et ainsi de suite … juste parce que chacune de ces actions leur donne l’impression que le pouvoir – et donc la jouissance – pourrait leur échapper à tout moment.
En 1222, 500 ans avant la déclaration des droits de l’homme en France, Soundjata Keita l’empereur du Mali, avait déjà rédigé la « Charte du Mandé », où il précisait qu’il fallait traiter son prochain avec les égards qui lui sont dus. C’est un peu de ça que de sont inspirés les penseurs européens, tels que l’Allemand Emmanuel Kant dans son livre de 1781 : « critique de la raison pure », où il dit : « Agis de telle sorte que tu traites l’humanité […] comme une fin et jamais simplement comme un moyen »
C’est-à-dire pense aux autres au moins autant que tu penses à toi-même.
A Yaoundé, à Kekem, à Ebolowa, les sous-préfets savent qu’il est illégal de demander de l’argent pour faire signer ses dossiers de candidature, ou d’interdire un meeting sans motif réel. Mais ils le font parce qu’ils préfèrent assouvir leur désir à eux, à savoir celui de consolider leur poste auprès de ceux qui les y ont nommés. La volonté populaire – donc la loi – passe au second rang. Et voilà ce qui fonde l’illégitimité d’un dirigeant. Car l’hédonisme politique est le plus grand des égoïsmes. C’est une jouissance du viol.
Or l’hédonisme, le vrai, c’est le sourire rationnel, c’est-à-dire celui qui n’enlève pas le sourire aux autres. Au collège, on nous enseignait un courant appelé l’ «épicurisme», et on nous disait que c’était la doctrine du plaisir coûte que coûte. Mais la réalité est qu’Épicure ( son fondateur en 306 avant notre ère ) parlait plutôt d’une recherche du bonheur à travers le minimum naturel. C’est-à-dire que si vous avez un abri, la santé et de quoi vous nourrir, vous n’avez pas besoin d’accumuler gloire fortune et prestige pour être heureux. Vous avez déjà l’essentiel.
Si en plus cette gloire et ce prestige incluent de détruire d’autres personnes, le fait de céder au charme de leurs sirènes fait de vous un criminel.
En 1906, quelques années après la mort de son père, Mahatma Ghandi décida de ne plus avoir de relations sexuelles avec sa femme Karsturba ( avec qui il était marié depuis l’âge de 13 ans et avait 4 enfants ). Et il vécut cette « seconde chasteté » jusqu’à sa propre mort en 1947. La raison ? Eh bien Ghandi se souvenait que cette nuit-là, il ne se trouvait pas au chevet paternel comme prévu, mais plutôt dans son lit avec son épouse. Ghandi considérera qu’à cause de ses jouissances, il avait laissé son père mourir dans une parfaite solitude.
Ghandi, fondateur de l’Inde moderne et père de l’indépendance du pays face à la couronne britannique, était donc simplement un épicurien radical, trouvant son bonheur dans une sorte d’ascèse ( large privation ), mais tout en refusant la souffrance des masses. Sa philosophie consistait à dire qu’il faut savoir « jouir des choses de la terre en y renonçant », mais surtout quand mon plaisir doit entraîner ton déplaisir.
En résumé, nous, nous sommes donc un pays où les dirigeants sont des criminels de tout premier ordre. Excités par l’usage du faux, la fraude, la manipulation, la répression voire la destruction physique, ils tirent leur orgasme politique de cette orgie de vices. Jouir en faisant du mal à autrui leur procure un plaisir plus grand que la jouissance seule.
Et il y a un mot pour cela : la perversion
EKANGA EKANGA CLAUDE WILFRIED( Le pire c’est qu’ils sont précoces )